Là où règnent les baleines – Jolan C. Bertrand

Couverture du livre représentant une personne nageant dans l'océan juste au-dessus d'une baleine et d'une créature semblable à une sirène.

À force d’en entendre parler, je m’étais penchée en début d’année sur Les soeurs Hiver – mythologie nordique, illustrations qui dépotent et histoire riche malgré un texte court m’avaient laissé un agréable souvenir. Là où règnent les baleines change de contexte, et j’ai beau kiffer la mer, le thème des sirènes n’est pas forcément de ceux qui m’attirent (oui, je sais, ce ne sont pas VRAIMENT des sirènes, mais la confusion me semble naturelle avant la lecture). Les retours de lecture étant néanmoins excellents, je me suis penchée sur le bouquin malgré tout.

Roanne, ado de treize ans, est envoyée passer les vacances chez son oncle Kierzic. Celui-ci vit seul sur un îlot, dans un phare délabré isolé de tout, y compris de l’électricité et de la sacro-sainte 4G. Forcément, Roanne le vit tout d’abord comme une punition (alors que je le vivrais personnellement comme une bénédiction, mais passons). En plus, son oncle est quant même un peu flippant. D’ailleurs, la voix d’enfant qui l’appelle dans la nuit aussi. Et forcément, à cet âge, avec une imagination galopante et sans doute un trop plein de Lovecraft, on s’imagine pas mal de choses.

Après un début mi-flippant mi-comique, l’auteur nous emmène à la découverte des fonds marins et des créatures qui y vivent. Et c’est une jolie découverte. J’ignore si l’auteur s’est inspiré de légendes réelles pour créer le peuple des nelphides et leur fonctionnement (là comme ça, après une brève recherche, je ne trouve rien, mais je ne suis pas infaillible) mais cette civilisation sous-marine est bien construite et cohérente, et aurait même mérité des pages en plus pour développer tout cela. Loin des stéréotypes liés aux sirènes, les nelphides sont des personnages franchement adorables.
Les personnages humains n’étant pas en reste, Roanne est une ado attachante, peut-être un peu agaçante au début mais finalement, qui n’a jamais lancé un “c’est trop naze !” pendant son enfance face à des trucs “de vieux” ? Roanne a ses faiblesses et ses craintes, mais aussi un grand cœur et un grand courage. Tout comme son oncle finalement, ce personnage un peu bourru dont on apprendra les raisons de son isolement en cours de route.

Comme dans Les soeurs Hiver, les thèmes sous-jacents sont nombreux, et c’est ce qui fait en grande partie la richesse du roman. Les relations familiales d’abord, avec cette jeune fille et son oncle qui vont s’apprivoiser au fur et à mesure. L’isolement aussi, le harcèlement, la différence. En arrière-plan, l’écologie, la pêche illégale. Loin d’être un récit porteur des défauts que je reproche généralement aux livres jeunesse (souvenir de la salve de récits que j’avais lus il y a quelques années et qui étaient atrocement linéaires, sans originalité ni même intrigue secondaire, mais on va dire que j’avais pas eu de bol), Là où règnent les baleines est dense en thématiques sans toutefois en faire des caisses. D’ailleurs, ceux que je pensais être “les méchants” au début du bouquin passent finalement à l’arrière plan, et vous savez quoi ? Ça fait du bien parfois, de ne pas se vénère face à des adultes un peu cons.

La fin est cool, et je n’avais pas vu venir certains points. Je ressors de ce roman comme du précédent avec le cœur un peu plus léger. Sans être guimauve, le livre est empreint de bienveillance, et ça fait un bien fou. Le style global est très bon, ça se lit de façon extrêmement fluide. Et il contient ce qui est potentiellement l’un de mes incipit préférés de ce début d’année.

Si la vie de Roanne avait été un film, il y aurait eu un arrêt sur image au moment exact où, au beau milieu de la nuit, elle bascula tout habillée d’un ponton branlant dans les eaux noires et glacées de l’Atlantique. Avec gros plan sur sa grimace d’horreur, histoire de permettre au public d’admirer ses cheveux frisés, sa peau brune, ses joues rondes, ses yeux marron et sa carrure de déménageur breton. Puis la voix de Roanne aurait dit quelque chose comme :
« Ça, c’est moi. Vous vous demandez sans doute comment je me suis retrouvée dans cette situation. Eh bien, tout a commencé lorsque ma mère a eu l’excellente idée de m’expédier pour tout l’été chez un vampire-loup-garou-naufrageur ! »
Puis le film aurait rembobiné pour bien montrer qu’on retournait en arrière. Il y aurait sans doute eu un plan aérien sur un vieux TER brinquebalant qui s’éloigne d’un quai de gare sous la pluie. Et sur ce quai de gare, on aurait vu Roanne serrant sa valise contre elle. Un sous-titre aurait annoncé qu’on était « deux semaines plus tôt », et la voix off serait revenue pour nous dire que :
« C’était le premier jour des vacances de la disgrâce, et mon oncle était en retard… »

Là où règnent les baleines, chapitre 1 : La vierge aux dents pointues

En plus, l’objet livre est quand même chouette, avec une jolie couv’, une impression à l’encre bleue et des illustrations ainsi qu’un carnet de croquis par Hélène Let, inséré au milieu du livre, ce qui le rend hyper agréable à lire.

Là où règnent les baleines est un joli coup de cœur, dense en thèmes, et tout doux. Nul doute que je me pencherai avec enthousiasme sur les bouquins suivants de l’auteur dès leur sortie.

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