Salman Rushdie – La cité de la victoire

Voilà, j’ai lu mon premier Salman Rushdie. Je n’ai donc aucun point de comparaison avec ses œuvres antérieures, et peut-être que ce que je vais lui reprocher va en fait s’avérer être une marque de fabrique de l’auteur. Au final, je me rends compte que encore aujourd’hui, je considère certains auteurs comme étant difficiles d’accès tant leur aura est forte. Je m’attendais à de la complexité, à des réflexions et des points de vue inédits sur les sujets abordés, sans doute aussi à ne pas tout comprendre. Au final, j’en ressors franchement déçue avec l’impression d’en avoir fait tout un plat pour pas grand chose. Mais il est tout à fait possible que je sois un peu trop nouille pour saisir l’ampleur du bouquin. Ou pas.

On nous annonce clairement la couleur dès la quatrième de couverture : possédée par une déesse, Pampa Kampana donne vie à la cité de Vijayanagara, “dont elle verra l’apogée, la déchéance et la chute au terme de deux siècles et demi.” Le récit est inspiré de l’histoire réelle de l’Empire qui porta le même nom ainsi que sur la vie de la poétesse Gangadevi. Salman Rushdie ajoute donc à l’Histoire une bonne couche de fantastique et de mythique : après quelques chapitres un peu hardos (TW : bûcher géant de chair humaine et abus sexuels qui, sans être décrits, sont bien malsains), Pampa Kampana va donc créer cette ville et ses habitants à partir de graines, puis chuchoter à chacun des habitants ce qu’a été leur histoire afin qu’ils prennent vie. Commence alors le cycle habituel de prospérité/petite guéguèrre. L’auteur prend aussi le parti de nous raconter cette histoire façon vulgarisation d’un texte authentique qu’on aurait retrouvé enterré sous des ruines. Il y va parfois de sa petite note façon “Bon, là elle écrit ça, mais en recoupant avec tel texte, elle voulait peut-être dire ça”.

Sur la manière de raconter l’histoire, c’est un exercice de style franchement réussit. Seulement voilà, c’est là que ça coince : j’ai beau aimer les récits fondateurs et les mythes et légendes, la façon dont ils étaient contés par les auteurs antiques m’a toujours profondément ennuyée. J’ai retrouvé les mêmes sensations qu’à l’époque où j’avais étudié L’Odyssée et L’Énéide : c’est très froid tout ça, très distant. C’est un enchaînement de faits, de bastons et d’échecs qui, malheureusement, ne me touchent pas le moins du monde. La psycho des personnages est très lointaine, et le style veut que même quand Pampa semble en proie à des regrets ou des doutes, elle est déjà passée à autre chose deux paragraphes plus loin parce qu’il faut bien que l’histoire avance. C’est con, parce que les premiers chapitres m’avaient touchée. Mais après tout, Pampa, possédée par une déesse, est peut-être elle-même un peu distante de l’humanité.

Les thèmes, également, auraient dû me toucher. L’une des ambitions de Pampa est de faire de la Cité un lieu d’inclusion : accepter toutes les religions, toutes les différences, et même donner une place égale aux hommes comme aux femmes – le sujet de la succession au trône reviendra plusieurs fois. Seulement, et encore une fois à moins que quelque chose m’ait échappé, ça ne va quand même pas très loin. Sans doute parce que l’auteur est restreint par l’adaptation historique, réflexion faite. Mais voilà, Pampa essaye de mettre en place un truc, et puis un homme (et honnêtement, plusieurs sont interchangeables dans l’histoire) arrive et fout la merde, et reprendre au début du processus. Des bouquins qui parle de patriarcat, de libération féminine, de religion et de guerre, j’en ai lu qui le faisaient mieux et allaient plus loin dans la réflexion. Tenez, je viens de finir Himilce d’Emmanuel Chastellière, et sans pour autant oser mettre les deux récits dos à dos parce qu’ils sont quand même différents, j’ai l’impression qu’à bien des égards, c’était mieux fichu.

Et puis arrive la fin – ceci n’est pas du spoil, encore une fois c’est clairement annoncé dès le résumé – et malgré quelques passages où j’ai enfin ressenti un peu de compassion pour Pampa, je me suis dit “Ah merde, tout ça pour ça ?”. Sans doute parce que j’ai trop l’habitude des fins qui, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, laissent entendre que l’histoire a servi à quelque chose pour le monde qui va suivre. Là encore, je peux supposer que le format adaptation historique a pu brider un peu les choses. Et là encore, je vais penser à Himilce et me dire qu’Emmanuel Chastellière a fait mieux.

Alors voilà, j’ai lu mon premier Salman Rushdie. Je ne dis pas que ce sera le dernier, je ne pense même pas qu’il soit mauvais, mais j’ai vécu là une incompatibilité de ma personne avec le format choisi et l’impression que tout ça n’a pas servi à grand chose à tous points de vue. Mais bon, j’ai l’habitude de ne pas être le public cible d’ouvrages grand public. Ça ne m’empêchera pas de réessayer et, peut-être, d’y trouver mon compte un jour.

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